1 + 1=1 pour certains, l’idée est exaltante, pour d autres
étouffante être un couple fusionnel veut il necéssairement dire perdre sa
personnalité? Ou au contraire la fusion peut elle être source de liberté?
Décryptage
Par Ségolène Poirier
« Mathieu et moi avons toujours des choses à nous dire,
alors que nous faisons déjà tout ensemble, raconte Anna, 28 ans. Et même en
sachant que nous allons nous retrouver le soir à la maison, nous nous envoyons
des dizaines de mails et de textos par jour » Dans un couple fusionnel, les
amoureux ne peuvent tout simplement pas se passer I’un de I’autre. D’après une
enquête réalisée par l'observatoire Love Intelligence (janvier 2015), 49% des
Français, célibataires ou en couple, se projettent dans une telle relation ou
ils partageraient tout. Mais aujourd'hui, il est possible d'être en couple sans
vivre ensemble ni partager un quotidien, en ayant même plusieurs partenaires
sexuels, ou affectueux. Et ces nouvelles possibilités ont changé les codes «
Dans une époque où se multiplient les couples dits "fusionnels" -
dans lesquels chaque partenaire mène une vie en dehors de celle du couple -,
deux amoureux fusionnels qui font tout ensemble ne constituent plus le schéma
dominant», analyse la psychanalyste Fabienne Kraemer. Ce que Sylvie, 42 ans, a
pu observer, même si elle reste persuadée que le schéma du couple fusionnel est
le bon «Ensemble depuis plus de vingt ans, Michel et moi sommes peut-être un
peu moins fusionnels qu'au début mais notre couple est solide. Alors que j'ai
pu voir que nos amis qui vivaient sur des schémas "modernes", mais
incompréhensibles à mes yeux, ne tiennent pas aussi longtemps que les couples
fusionnels »
Un mode
de FONCTIONNEMENT
«Dans ces couples fusionnels, aucune activité ni projet
futur ne sont envisagés sans la présence ou l'approbation de l'autre. En
demandant par exemple : « Je pense aller au yoga dimanche, ça
ne t'ennuie pas ?"' » commente la psychanalyste. Pour eux, inclure
l'autre dans chaque décision est naturel et logique. Selon le psychologue
Lubomir Lamy, cela part «d'un accord sous entendu, d'une même vision du couple,
sans qu'il n'y ait jamais eu besoin d’en parler» et les partenaires forment
alors un «tout indissociable, une seule identité». Cependant, aujourd'hui, bien
qu'ils passent la majeure partie de leur temps ensemble, les amoureux
fusionnels peuvent rarement vraiment tout faire ensemble puisqu’en général,
l'un des deux, voire les deux, travaille. Ils sont donc séparés pendant une
partie de la journée. La fusion prend alors plutôt place sur le plan
sentimental. Les partenaires partagent exactement la même conception du couple
une grande complicité - ils se considèrent d'ailleurs souvent comme meilleurs
amis en plus d'être amants -, une confiance et une exclusivité absolues, la
conviction qu'une vie heureuse a deux se construit dans le temps et que les
difficultés doivent être affrontées et relativisées ensemble. Et surtout, l'envie
et le besoin d'être avec l'autre « On a
toujours des choses a faire ensemble, on ne s'étouffe pas, et même en restant
en silence, u n'y a jamais de malaise, raconte Benjamin, 3l ans. J'aime passer
tout mon temps avec elle et je ne vois pas pourquoi je préférerais le passer
seul ». Même besoin de partage chez Anne Lise et Martin, 23 et 24 ans. «Je ne peux, et ne veux pas, concevoir que
Martin et moi puissions vivre des expériences, des moments de joie ou de tristesse,
seuls chacun de notre côté. Ce besoin de faire des choses avec l'autre, c'est
simplement le désir de découvrir la vie avec la personne que l'on aime »
Un concept victime de PRÉJUGÉS
Niais, mielleux, exagéré, étouffant…Le couple fusionnel a
souvent mauvaise réputation. Certains craignent de perdre leur identité et leur
liberté, pendant que d'autres sont persuadés que ces relations sont utopiques,
et donc vouées a I’échec. Mais entre ces amoureux, la notion de besoin de
l'autre n'est pas taboue, elle est même acceptée, puisque le besoin est mutuel.
Et c'est justement cette idée de dépendance qui pose problème à ses détracteurs
«Aujourd'hui, ce qui est valorisant aux
yeux de la société, c'est d'être indépendant et autonome, de trouver la force
en soi sans que les autres interviennent. Dans cette configuration, dire
"on s'aime et on a besoin l'un de l'autre" passe pour une faiblesse»,
décrypte Fabienne Kraemer. Une situation que vit Arthur, 37 ans, en couple avec
Juliette depuis six ans «Elle me rend
heureux et ne m'a jamais forcé à être, ce que les autres appellent, fusionnel. Mes
amis me traitent souvent de canard et de soumis. Je ne comprends pas pourquoi je serais moins homme qu'eux
sous prétexte que j'ai besoin d'elle dans ma vie. Au moins, moi, je l'assume ».
Effectivement, faire face au regard des autres hommes demande souvent de
l'assurance. Le psychologue Lubomir Lamy l'explique par le fait que les
partenaires masculins ont très souvent « peur d'être engloutis ». Un constat partagé par la psychanalyste
Fabienne Kraemer « Les femmes ont
tendance à ne se focaliser que sur un seul homme, ce qui rend la fusion rassurante
pour elles. Alors qu'en général, les hommes ont plus besoin de se dire que
d’autres options sont possibles, même s'ils n'envisagent pas de les
suivre.» Mickael, 28 ans, faisait partie de ceux qui ne concevaient pas de tout
faire avec l'autre. Mais sa rencontre avec Emilie a changé sa vision des
choses. « Il ne faut pas chercher a comprendre comment les fusionnels font pour
se supporter tout le temps ensemble. Seuls d'autres couples vivant la même
chose peuvent le comprendre. Et depuis que je le vis, c'est devenu évident ».
Si pour certains, fusion est synonyme de dépendance nocive, pour d'autres elle
rime surtout avec passion dangereuse. Ces deux sortes de relations n'ont
pourtant pas grand chose à voir d'après le psychologue Lubomir Lamy «La fusion vient surtout d'un sentiment
amoureux de très forte intensité, alors que dans la passion, l'intensité est
essentiellement physique, presque chimique avec une dimension sexuelle
prépondérante. C'est du fusionnel instantané de courte durée.»
Un ÉQUILIBRE à trouver à deux
Par définition, la fusion ne peut être unilatérale. Si elle
n’est pas partagée et consensuelle, elle devient toxique. « Pendant deux ans,
nous étions dans une bulle, inséparables, à se donner des nouvelles tout le
temps, à se dire tout sur tout, raconte Camille, 22 ans. Mais quand il a changé
de travail, il a découvert qu'il pouvait être heureux seul dans un aspect de sa
vie. Voir qu'il ne voulait pas m'y indure
m'a rendue folle. Je me suis sentie abandonnée, trahi. La bulle a éclaté et notre relation a pris fin quelques mois
après ça ». Pourtant dans un couple réellement fusionnel, rien ne doit être
imposé à I’autre, il ne doit se sentir ni frustré ni menacé par d éventuelles
représailles. Car si l'un doit tout négocier (sorties avec les amis, activités
en solitaire ) et n'a ni le droit de s'éloigner ni de fréquenter d'autres
personnes, cela peut vite tourner au cauchemar Yohann, 25 ans, en a fait les
frais avec son ex «Elle voulait savoir ce
que]e faisais à tout moment de la journée. Ce n'était pas par curiosité, mais
pour me surveiller, me mettre sous pression. Si j’allais au cinéma avec mes
amis, elle faisait la tête. Et si une fille osait nous rejoindre, elle devenait
furieuse "Ne bois pas trop", "Ne rentre pas trop tard",
"Ne dépense pas trop d'argent" J'avais l’impression d'être obligé de
lui obéir et de ne plus pouvoir prendre de décision seul», se souvient le jeune
homme « L'amour est l'association de deux êtres humains libres, rappelle Lubomir
Lamy. Donc si l'un des deux souffre d'une situation, alors que l'autre s'en
satisfait, c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'amour de sa part ». Un constat que
dresse également Fabienne Kraemer «Pour
certains, la fusion devient une bonne excuse pour mettre l'autre sous
surveillance. Et c'est grave, car dans un couple, tout doit se faire dans le
respect de l'autr. On n'a pas à l'interdire de vivre sa vie et à se sentir délaissée sous prétexte qu'il sort
boire un verre ou pratique son sport préféré sans nous'». II est donc
important de se demander si l'on agit comme on le fait dans un réel souci de
l'autre ou parce qu'on veut l'accaparer. Camille le comprend aujourd'hui «Avec du recul, je me suis rendu compte que
la fusion était mon envie. Mon manque de confiance en moi faisait que j'avais
besoin de pouvoir un peu contrôler sa vie, pour me rassurer.Peut être qu'au
début, il avait adhéré au côte "bulle" par amour et par peur de me
perdre, mais en réalité, c'était quelque chose que je l'avais contraint à accepter »
Une DÉ-FUSION parfois nécessaire
Pour que chacun
retrouve sa place et son équilibre personnel, il peut s'avérer utile de
fusionner. Suivant les mêmes études dans la même université, Anne Lise et
Martin passaient tout leur temps ensemble «Être
en couple implique des changements, voire des concessions, mais ne jamais se
lâcher entraîne une perte d'identité. On devient plus un ensemble que deux
personnes bien distinctes. On s'est retrouvés un peu comme coincés entre la
volonté de vivre chacun sa vie et le caprice de ne pas vouloir que l'autre
fasse seul ce dont il a envie ». Jusqu'à ce qu'un autre choix se présente à
eux «Grâce à I’alternance
professionnelle, chacun de nous a retrouvé une sphère sociale qui n'inclut pas
l'autre, explique Martin. Et ça a été le déclic.
On peut être séparés sans ressentir de culpabilité à laisser
l'autre. Nous nous épanouissons chacun de notre côté, ce qui fait que nous nous
sentons mieux dans notre vie de couple.
Pour les personnes en manque de confiance ou qui ont peur de
la solitude, ce genre de relation peut être rassurante.
Mais encore une fois, cette décision doit être prise a deux
et ne doit aucunement générer de frustration. Car si elle est imposée par l'un
des partenaires, cela relève d'une incompatibilité des la formation du couple
«Si la fusion commence à s’atténuer, pour ensuite disparaître, c’est que ce
mode de fonctionnement ne correspondait pas à l'un des partenaires, affirme
Fabienne Kraemer. On comprend alors que c’était unilatéral et il faut se
libérer de cette situation ». Selon Lubomir Lamy, l'arrêt brutal de la fusion
peut aussi être du à une grande déception, voire une trahison, de la part du
partenaire « Ou du moins ils vivent la situation comme telle», décrypte le
psychologue. II ne faut pas oublier que les unions fusionnelles ne sont pas
faites pour tout le monde « Pour ceux qui ont besoin d'indépendance, être
fusionnels est inconcevable et est même parfois vu comme une condamnation»,
souligne la psychanalyste Fabienne Kraemer. De son côté, Lubomir Lamy pense que
la fusion peut correspondre à un caractère particulier «Pour les personnes en
manque de confiance ou qui ont peur de la solitude, par exemple, ce genre de
relation peut être rassurante »
Un cadre serein et APAISANT
Lorsque la fusion est bien consensuelle, le couple devient
alors un véritable espace de bien être, de liberté et de développement. Les
deux partenaires forment une équipe plus que soudée avec les mêmes envies et
objectifs. Selon Fabienne Kraemer, la fusion a bien des avantages. Elle est
d'abord synonyme de force «Il y a cette idée de ne plus être seul au monde,
d'avoir une personne sur qui compter à tout moment». Un avis que partage
Lubomir Lamy: «Dans ces couples, le "nous" prime et les obstacles
sont plus faciles à affronter». C'est ce qu'Anne-Lise aime appeler son «point
d'ancrage» La fusion permet aussi d'être vraiment en confiance avec quelqu'un
«Sachant que chacun des partenaires a fait le choix de vivre pleinement avec
quelqu'un qui lui est à la base étranger, la confiance est sans doute la
principale fondation de ces couples. L'autre a d'emblée une bienveillance a
votre égard, et de cette absence de jugement naît une grande liberté d'être»,
souligne Fabienne Kraemer. Un avis que partage Kira, 27 ans «Bruno me connaît
par cœur. II a conscience de mes faiblesses et de mes défauts et les accepte.
Je n'ai jamaispeur qu'il me critique ». Une liberté d'être qui aide à mieux se
connaître soi-même, à s'accepter et à gagner en maturité «L'impression selon
laquelle il faut être bien avec soi-même avant d'être bien avec les autres est
fausse, analyse Fabienne Kraemer. En réalité, on n'est jamais autant soi-même
qu'en côtoyant les autres et en particulier l'être aimé. Ce choix de vivre
pleinement avec quelqu'un qui nous est à la base étranger, est la plus belle
aventure qui nous est amenée à vivre». Une aventure très enrichissante pour
Kira «Avec Bruno, je suis tout simplement moi, sans filtre ni frein. Je ne
dirais pas que je ne me construis que grâce à lui, mais il contribue à ce que
je le fasse sereinement». La fusion peut donc être une solution pour durer,
selon la psychanalyste Fabienne Kraemer «Dans tous les couples, le quotidien
abîme les choses. Mais la fusion, si elle est égalitaire,est une vraie chance
pour aller loin car les partenaires ont exactement la même vision des choses et
de leur futur ensemble». Pour le psychologue Lubomir Lamy, si les deux
partenaires ressentent qu'ils ne forment qu'un et qu'ils en sont parfaitement
heureux, alors ce couple absolument fusionnel est « le degré ultime de l'amour.
Cela correspondrait ainsi au mythe de l'androgyne selon lequel l'espèce humaine
est née d'un être formé de deux êtres de sexe opposé et couplés ensemble, mais
séparés par la colère de Zeus. Ils passent alors leur vie à la recherche de
leur moitié, afin de redevenir un tout indissociable. » Cependant, chaque
relation est unique et ne pas être en fusion avec son partenaire n'est
évidemment pas synonyme d'une absence d'amour profond ou de complicité.